‘Semer de l’eau’ dans les régions arides: inspiration d’une pratique pré-incaïque
L’idée que la nature puisse apporter des solutions à nos problèmes n’est pas vraiment nouvelle. Aujourd’hui, on parle de « solutions fondées sur la nature » ou de « services écosystémiques », mais depuis des siècles — voire des millénaires — de nombreuses communautés ont vécu, cultivé et construit en suivant cette logique. En particulier, les peuples autochtones ont développé et transmis des formes complexes de gestion de l’eau, des sols et des forêts, fondées sur une connaissance profonde de leurs territoires.
Dans le sud de l’Équateur, une telle solution ancestrale a refait surface grâce au projet Sembrando Agua – ’Semer de l’eau’ – au sein des communautés de la petite ville de Catacocha, dans le canton de Paltas. Nichée sur un plateau près du mont Pisaca, sur les flancs des Andes, cette région montagneuse semi-aride — aux sols rocailleux et à la végétation rare — connaît des pluies fortement saisonnières et une pression hydrique croissante due au changement climatique. Il y a encore une dizaine d’années, l’eau n’y suffisait tout simplement pas. Face à cette situation de sécheresse extrême, Galo Ramón, un historien originaire de la région, a ravivé une pratique ancienne de collecte des eaux – ou du « liquide vital », comme on l’appelle parfois en Amérique hispanique. Comme il l’a expliqué à Mongabay Latam, c’est en étudiant un litige foncier datant de 1680 qu’il a découvert, à travers un dessin d’une lagune, que celle-ci ne se nourrissait pas de sources mais de pluie. En suivant cette piste – en dialoguant avec les anciens du coin, en étudiant les légendes et documents historiques – il a découvert que le peuple indigène palta, qui habitait la région il y a plus de mille ans, à l’époque pré-incaïque, avait déjà développé des systèmes sophistiqués pour capter et conserver l’eau de pluie. Inspiré par cette pratique ancestrale, l’historien a lancé en 2005 le projet de « semer de l’eau » avec la Fundación Comunidec. En dix ans, grâce à la mobilisation des membres de la communauté, des institutions et du soutien international, 250 lagunes artificielles, murs de ruissellement (tajamares) et petits réservoirs (pilancones) ont été reconstruits sur la colline de Pisaca. Ces réservoirs captent l’eau des fortes pluies (jusqu’à 700 mm en deux mois), permettant son infiltration lente dans les sols pour recharger les nappes phréatiques et garantir une disponibilité continue, même en période de sécheresse. Le projet a aussi permis de restaurer la végétation native, de renforcer la participation communautaire et de stimuler le développement économique local – les agriculteurs de Paltas ont ainsi pu améliorer leur production de maïs, cacahuète, mangue, et d’autres légumes vendues sur les marchés.
Le cas de Catacocha n’est pas unique. Ailleurs dans le monde — comme dans l’altiplano bolivien, où l’on récupère des savoirs sur les plantes locales pour dépolluer les lacs, ou en Ouganda, où des méthodes autochtones de prévision météorologique sont revalorisées — des solutions combinant savoirs traditionnels et approches environnementales modernes sont également mises en oeuvre. L’innovation ne consiste pas toujours à inventer quelque chose de nouveau; des fois c’est plutôt de repenser ce qui fonctionne (ou a fonctionné) déjà.
Crédit image : Cortesía Municipio de Paltas