Faire mieux (pas plus) avec moins: les entreprises de l’économie de la fonctionnalité
On l’entend souvent: notre modèle économique actuel doit être profondément transformé pour devenir durable, écologiquement et socialement. Mais qu’est-ce que cela signifie concrètement – notamment pour les entreprises ? Peut-on rester rentable tout en produisant ou en vendant moins ? Une réponse prometteuse vient du modèle de l’Économie de la Fonctionnalité et de la Coopération (EFC), un concept largement développé et étudié en France. Il s’agit d’un autre regard sur la création de valeur: non plus basé sur la quantité de produits vendus, mais sur la qualité des services rendus, souvent avec moins de matières premières et un impact environnemental réduit.
L’EFC repose sur un changement de logique : passer de la possession à l’usage. Au lieu d’acheter une voiture, on souscrit à un service de mobilité. Au lieu d’acheter un luminaire, on paie pour un certain niveau d’éclairage garanti. Dans ce modèle, l’entreprise reste propriétaire du bien, en assure l’entretien et la réparation, et vise à le faire durer le plus longtemps possible. Cela va à l’encontre du gaspillage, de la surproduction et de l’obsolescence programmée. Certains exemples classiques de l’EFC sont ceux où un produit devient un service. C’est le cas de Michelin, qui ne vend plus simplement des pneus, mais propose un « pack mobilité » intégrant la performance des pneus et l’efficacité énergétique. L’entreprise conserve la propriété, assure la maintenance, et aide ses clients – principalement des grandes flottes de véhicules – à réduire leurs coûts et leur impact environnemental.
D’autres approches vont plus loin en repensant la valeur : il ne s’agit plus seulement de vendre un service, mais de construire des partenariats de long terme entre fournisseurs, usagers et collectivités. C’est le cas de Les Anges Gardins, une entreprise d’insertion située sur la Côte d’Opale, dans le nord de la France. Membre du réseau Cocagne de fermes bio solidaires, elle ne se contente pas de produire des légumes : elle réinvente l’alimentation comme levier de santé, d’inclusion sociale et de résilience territoriale. Un ‘archipelago’ de parcelles urbaines en friche sont transformées en jardins productifs, intégrés dans des écopôles alimentaires — des “territoires alimentaires inclusifs”. Les récoltes sont destinées aux particuliers mais aussi à des consommateurs collectifs comme des maisons de retraite ou des cantines d’entreprise. En combinant travail agricole et services sociaux, Les Anges Gardins créent des emplois, restaurent les sols et améliorent la nutrition locale – sans chercher à s’étendre indéfiniment. Leur modèle est aujourd’hui répliqué dans d’anciennes villes minières, avec le soutien des municipalités.
C’est là que l’économie de la fonctionnalité dépasse le simple modèle d’affaire : fondée sur la coopération, non seulement au sein des entreprises mais aussi entre secteurs, institutions et communautés, elle devient un levier de transformation territoriale. Elle ouvre la voie à des dynamiques collectives entre acteurs publics et privés autour d’objectifs communs. C’est le cas par example du programme COOP’TER, soutenu par l’ADEME, qui accompagne la construction d’écosystèmes coopératifs autour de l’alimentation, la santé ou le logement, basés sur la valeur d’usage plutôt que le volume. Et si, finalement, faire moins mais mieux, c’était le modèle d’affaires le plus résilient que nous ayons ?
Crédit photo : Les anges gardiens