De l’autopartage aux rivières, les FUS québécoises s’en occupent

Le droit de l’environnement et le rapport au monde des peuples autochtones ont des fois – heureusement – plus en commun qu’on ne l’aurait cru. « Nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants » rappelle un proverbe qui reflète bien la tradition amérindienne où les liens de coopération et de confiance entre generations, et dans les ecosystemes, sont clés pour leur preservation. Très loin de la logique dominante, qui tend à réduire la nature à un ensemble de ressources à exploiter. Cependant, des instruments legaux recuperant l’idée des éléments naturels comme porteurs de droits ou dotés d’une personnalité juridique gagnent du terrain.

C’est le cas d’une innovation juridique, encore méconnue, propre au Québec: la fiducie d’utilité sociale (FUS). Elle permet des biens sans propriétaire (et donc qui ne peuvent pas être ni accaparés, ni utilisés à des fins spéculatives): une FUS consacre un patrimoine ou une resource à une finalité d’utilité sociale ou environnementale, plutôt qu’au bénéfice d’un propriétaire. Seul un tribunal peut modifier l’affectation d’une FUS, ce qui garantit la pérennité de sa mission- à la difference, par exemple, d’une coop ou d’un OSBL, où un changement de statuts suffirait à changer le but social. Bien que souvent associée à la gestion de biens fonciers, la protection durable des milieux naturels -comme la rivière Magpie en territoire Innu – ou du patrimoine bâti, la FUS est un outil à grand potentiel transformateur dans divers champs. Elle peut être notamment un véhicule pour des activités économiques à finalité sociale.

Un peu dans la même ligne que l’entreprise américaine Patagonia – dont le fondateur a transféré la propriété à deux structures à but non lucratif pour garantir son engagement environnemental dans le temps – le pionnier québécois de l’autopartage Communauto a annoncé à ses membres, en mai 2025, son intention de créer une FUS pour assurer dans la société de gestion de ses trois plus hauts dirigeants-actionnaires la pérennité de la mission pour une mobilité urbaine durable. Depuis plus de 30 ans, son modèle encourage la réduction de l’usage de la voiture personnelle en ville via l’offre des véhicules partagés, tout en intégrant des liens avec le transport en commun. La démarche de Communauto innove en appliquant le cadre de la FUS à une entreprise commerciale. Elle verrouillerait ainsi son capital et son patrimoine dans un cadre qui empêcherait la revente purement commerciale ou la dilution de ses objectifs, tout en gardant la flexibilité nécessaire à une activité économique. Cela ouvre une nouvelle voie pour les entreprises et les initiatives urbaines durables qui veulent se protéger des pressions de marché tout en restant économiquement viables.

Il reste à voir comment cette expérience évoluera, mais la FUS apparaît déjà comme une figure juridique à retenir dans les stratégies d’innovation pour des villes plus durables. Plusieurs pistes de développement sont soulignées dans le guide à ce sujet de l’organisme TIESS : la FUS pourrait servir de cadre pour le développement des communs urbains, ou encore être adoptée par des municipalités pour gérer des ressources ou infrastructures partagées.

Crédit image : Tiess.ca