Fabriquer des avenirs

Si vous voulez savoir ce qu’est la Fab City, l’histoire et la pensée qui la sous-tend, les implications et les directions que la communauté veut prendre, vous pouvez difficilement faire mieux que cet article de l’un des cofondateurs, Tomas Diez.

Il couvre un large éventail de sujets. Du contexte historique de la colonisation au mouvement de design Bauhaus et à son influence, en passant par le rôle de la pandémie dans l’évolution de notre compréhension des systèmes qui nous entourent, et par les Fab Labs qui ont prouvé certains de leurs cas d’usages.

Les décennies deviennent des années, les années deviennent des mois ; le changement se produit rapidement, mais fonctionne paradoxalement à l’intérieur des couches précédentes de transformations. Alors que nous sommes encore en train de nous adapter à l’imprévisibilité du changement, d’autres révolutions sont à venir, ainsi que d’autres crises systémiques.

L’une des sections les plus intéressantes est celle où Diez propose une vision de trois révolutions numériques, et surtout la troisième, celle qui est en cours et adressée par les Fab Cities :

La révolution numérique dans l’informatique a été personnelle, avec le développement du PC ou du smartphone. La révolution numérique dans les communications a été collective, mais à l’échelle mondiale, avec l’invention de l’Internet et son adoption massive. La révolution numérique dans la fabrication est communautaire et s’opère dans une zone territoriale telle que les quartiers des villes et villages.

L’un des principes du mouvement Fab Lab (et de nombreux mouvements et cadres d’apprentissage) est l’idée d’apprendre en faisant, le document propose d’aller plus loin en ajoutant la notion d’impact.

Nous souhaitons faire évoluer le concept “d’apprentissage par la pratique” en y ajoutant celui “d’apprentissage par l’impact», étant donné le contexte dans lequel ces laboratoires fonctionnent et les possibilités de travailler sur des problématiques qui vont au-delà du défi technique, mais qui conversent avec le monde autour d’eux.

Nous entendons souvent parler de la responsabilité du design, des designers qui ne se contentent pas de créer des produits et des services, mais qui doivent réfléchir à l’impact de ce qu’ils créent. Ici, Diez suit l’idée d’apprendre tout en ayant un impact, avec cette vision du design qui est très systémique et qui est en soi une pratique de compréhension :

Le design n’est pas l’esthétique, la forme ou la fonction, mais l’exercice consistant à comprendre les systèmes qui soutiennent une intervention et à articuler les éléments de connexion nécessaires entre eux afin d’atteindre un objectif donné.

Dans les milieux d’affaires, l’idée de «transformation numérique» signifiait initialement qu’il fallait transformer l’organisation en appliquant des outils numériques. En réalité, il s’agissait souvent plus d’une opportunité, profitant du moment où les outils numériques sont introduits pour déconstruire le fonctionnement de l’organisation et l’améliorer. Un processus que l’on espère facilité par ces nouveaux outils. Le défi climatique peut aussi être perçu comme ce genre d’opportunité, la consommation et la production doivent se faire différemment, c’est le bon moment pour repenser de multiples aspects.

Pour changer le modèle de production, il faut comprendre qu’une transition vers un modèle socio-économique régénératif, équitable et universel est nécessaire. Un modèle qui permet d’intégrer la diversité culturelle, les visions du monde, les connaissances ancestrales et une économie de soins entre les personnes et les systèmes vivants qui rendent la vie possible.

L’article entre ensuite dans les détails en considérant deux programmes que Diez a co-créés et co-animés : la plateforme Exploring Emergent Futures (EEF), au sein du programme Design Products MA à Londres, et maintenant Emergent Futures à Barcelone, organisé par Fab Lab Barcelona (IAAC) et Elisava School of Design and Engineering. Pour certains, cette partie pourrait s’avérer moins attrayante que le reste, mais c’est en fait la section à laquelle vous devriez prêter attention, car elle recadre davantage le design, mais ajoute également les futurs émergents à la «pile» de la fabrication numérique : Fab Labs, Fab Academy, Fab Cities, et Emergent Futures.

Comme nous l’avons mentionné plus haut, de multiples menaces existentielles se présentent à nous et constituent à la fois des défis et des opportunités de réinvention. Pour réussir dans cette entreprise, il faut non seulement envisager ce qui doit être réparé, mais aussi réfléchir à ce que l’on veut créer, à la direction à prendre, au futur le plus souhaitable. C’est là que le design, associé à la création de futurs émergents, devient essentiel.

Créer de nouveaux espaces pour favoriser les processus d’apprentissage dans le monde réel, dans lesquels les designers enseignent, apprennent, pratiquent, recherchent et transforment toute réalité donnée, en ayant accès à des outils permettant de comprendre la complexité dans laquelle la nouvelle «pratique» du design opère déjà. […]

Design for Emergent Futures engage le designer dans un processus au sein duquel iel doit comprendre un contexte complexe en constante évolution et positionner sa pratique en accord avec les défis globaux de notre époque et son but personnel.

Le programme doit également, à mon avis, être considéré comme un programme spécifique, mais aussi comme un modèle de pensée holistique et de transdisciplinarité, qui peut être utilisé dans d’autres contextes.

Nous voulons que nos étudiants amplifient et affinent leurs connaissances sur le rôle de la technologie, du design et de la philosophie pour dissoudre les problèmes graves de notre époque, et non les résoudre en une seule fois. […]

Le design est un acte qui consiste à donner un sens aux schémas du monde que nous percevons, afin de les influencer pour créer des futurs souhaitables, nous donnons un sens au monde par le design.

Je partage cet article juste avant le Fab City Summit, parce qu’il peut être lu non seulement comme une grande présentation des Fab Cities, mais aussi comme une façon de lier tous nos articles ensemble. Tous peuvent être considérés comme des points reliés entre eux par cette combinaison de Fab Labs, Fab Academy, Fab City, et le Design of Emergent Futures. Le mouvement Fab City est lui-même un exercice de prospective, qui consiste à penser, imaginer, concevoir et commencer à concrétiser une vision adaptée aux défis, qui répare certains des torts du passé, réduit les inégalités, respecte la nature et propose des lieux où il fait bon vivre. La tâche est ardue, comme nous le savons tous, mais bon nombre des questions qui doivent être abordées peuvent être examinées et des solutions peuvent être élaborées au sein du mouvement.